dimanche 7 juin 2015

Golden Baby

Golden Baby, c'est comme ça qu'il nous arrive de surnommer Julie. C'est un ami qui a trouvé ce surnom. Je trouve qu'il a tapé dans le mille.
Il y a quelque chose d'elle dans Béatrice, la chanteuse de Coeur de Pirate. Et comme j'avais dit que je mettrais des vidéos de chansons en entête de mes billets, qui ont un rapport avec le contenu qui suit, j'ai respecté la règle du jeu.
Pour mon frère, c'est l'actrice Amanda Siefrid qui lui fait instantanément penser à sa nièce.
Pour ma belle-mère, c'est la jeune chanteuse Louane...
Pour moi, c'est Scarlett Johansson dans le film "Un nouveau départ" qui représente le mieux Julie dans son intégralité...  Tout est là : la ressemblance physique, le naturel, la sensibilité, la force de caractère, l'authenticité... la vie qu'elle aimerait mener. L'idée de l'amour qu'elle se fait...
Je pourrais presque arrêter d'écrire et vous dire de regarder ce film (il est vraiment chouette en plus, il fait passer un bon moment!)... Ca reste pour moi le copié/collé le plus réaliste pour définir ma fille aînée...

Julie a deux ans de plus que Moune. On voulait peu d'écart d'âge entre nos enfants.
Comme je l'ai dit dans un billet précédent, elle a poussé comme un champignon. Elle était la première petite fille tant pour mes parents, que pour mes beaux-parents. Elle était la princesse. Je suis sûre qu'elle conviendra que ce terme lui va à ravir tant elle est fan de Disney.
Lorsque j'étais enceinte de Moune, nous étions sur le point de déménager pour un plus grand appartement en plein 12ème arrondissement de Paris. Julie n'allait plus être gardée par sa nounou, une femme formidable, là où nous habitions, dans le 93.. je savais que la naissance de Moune, suivie du congé maternité, mènerait jusqu'à la rentrée en maternelle de Julie. Tout s'embriquait bien. On ne pouvait pas rêver mieux.

Bien sûr, rien ne s'est passé comme prévu. Moune est née un mois avant notre déménagement. Celui-ci s'est fait sans moi car je passais mes journées auprès de mon tout petit bébé en néonatologie... j'étais coupée de toute réalité... en survie... Julie était gardée par les papies et mamies venus repeindre les murs du nouveau logement, refaire les sols... il y avait comme une urgence à tout asseptiser, à rendre propre... Julie était gaie comme un pinson, fidèle à elle-même. Elle venait voir sa petite soeur à travers les vitres du service de grand-prématurés, accompagnée par mon mari quand il terminait son travail. Elle était très appréciée par les infirmières.

Julie a toujours été appréciée par tous les adultes qui se sont occupés d'elle.

Je n'ai jamais repris mon travail de postière après la naissance de Moune. Je l'ai déjà dit, je crois. Donc Julie a pu profiter de moi 24h sur 24, d'une petite vie calme et d'une entrée en maternelle en souplesse... elle voyait bien que j'étais très occupée par Moune qui était un petit bébé fragile et peu réceptif aux sauts et aux grimaces qu'elle faisait devant son relax... mais elle ne posait pas de questions. C'était comme ça. Du coup elle me parlait beaucoup. Me posait des tas de questions.
Ca aurait pu me fatiguer par moment, ce blabla incessant, mais pas du tout...En fait, j'étais devenue mère au foyer, sans vie sociale... Moune échangeait peu avec moi, je répondais à ses besoins vitaux et c'était suffisant pour elle... l'infatigable conversation de Julie me sortait de mon isolement et me faisait souvent rire. Je ne pense pas qu'elle était comme ça par nature, car en grandissant, Julie est devenue timide et posée. Plus j'y réfléchis et plus je me dis que Julie a fait en sorte de me changer les idées, de me maintenir la tête hors de l'eau... elle me voyait sûrement triste et fatiguée, parfois... elle ne devait pas aimer ça et elle avait bien compris qu'elle avait un pouvoir de dérision sur moi... elle m'épiait en fait.

Julie a été et est encore un pilier pour moi. Bien sûr, l'amour de mon mari, la solidité de mon couple, ont eu un rôle primordial pour maintenir en vie la famille que nous étions... mais Julie a été la présence féminine la plus forte dans ma vie. Elle continue encore, malgré ses 21 ans, de venir me parler et savoir comment je vais. Elle me confie beaucoup de choses et c'est une chance énorme de voir la confiance qu'elle m'accorde. C'est ma fille avant tout, mais c'est aussi ma meilleure amie.

La relation Julie/Moune n'est pas du tout la même que la relation Zoé/Moune. Julie a assisté à beaucoup plus de colères, de crises inexpliquées de la part de Moune ... cette dernière bénéficiait de soins persistants... Julie ne savait pas quoi faire si ce n'est se faire petite. Mon mari et moi étions très accaparés. Du coup elle n'a pas pu créer de vrai lien fraternel... Moune a été hospitalisée deux mois avant de venir vivre enfin à la maison. La petite soeur tant attendue était un courant d'air, une illusion... et une fois qu'elle fut à la maison, elle pleurait beaucoup, ne supportait pas qu'on la touche ou qu'on lui fasse un bisou baveux... en plus, elle réclamait toute l'attention de maman et de papa... ce n'était pas facile à vivre pour Julie.

Le lien que Julie n'a pas pu créer, elle l'a donc reporté sur nous. Elle a tenté de grandir vite pour pouvoir suivre nos conversations et partager plein de choses avec nous. Elle y est parvenue haut la main.

Julie a d'autant pu vivre ce lien parents/fille avec sérénité le jour où elle a compris que Zoé était parvenue à remplir le rôle de la soeur fusionnelle avec Moune. C'était tellement plus simple pour Zoé de naître au moment où Moune allait mieux, marchait et verbalisait enfin ses besoins.

Je dois beaucoup à l'écoute et à la maturité de Julie.

Elle aurait pu m'en vouloir de l'obliger à grandir vite, souvent sans mon aide et mon soutien.

Moune a grandi avec le syndrôme d'Asperger nié par le corps médical jusqu'à ses 16 ans.
Zoé a développé une encoprésie entre ses 3 et 12 ans.
Julie se devait d'aller bien, toujours.
Pourtant elle a également des soucis de santé. Elle est allergique à l'histamine et a des tas d'autres choses comme le pollen, les poils d'animaux.... Elle a déjà fait un choc anaphylactique de niveau 2.
Elle le gère très bien, ne se plaint jamais.

Il nous est arrivé de mettre les choses à plat, elle et moi. Elle a su me dire quand elle avait besoin de penser à elle et quand elle ne pouvait plus être l'épaule réconfortante dont j'avais besoin quand j'avais un coup de mou. J'ai alors rectifié le tir, je me suis secouée. Nous sommes elle et moi d'un caractère franc et impulsif. Nous sommes assez similaires. On parvient donc à se dire les choses et à rebondir.
Si j'avais pu avoir mes proches dans la même ville que moi, ça lui aurait sans doute permis de souffler, à ma Julie... mais ma mère ne vit pas à côté de moi et a eu un AVC quand Moune avait cinq ans. Ma maman est alors devenue un petit bout de femme qu'il fallait ménager, rassurer... car tout choc émotionnel la mettait en vrac. Ma mère a découvert le handicap de Moune il y a un an et demi.... elle n'avait rien soupçonné du tout... j'ai fait en sorte de la protéger. Mais je pense que je n'aurais pas dû.

Mais ça, c'est une autre histoire. Faire comprendre l'autisme à nos parents, à notre entourage...

Arf, ce sera le sujet d'un autre billet...


samedi 6 juin 2015

Happy

Il n'y a aucun doute là-dessus, Manon est heureuse. Et nous le sommes également.
Nous avons appris à reconnaitre le bonheur, le bien-être... grâce à elle...
Elle ne se complique pas la vie. Elle n'a pas les "codes" pour ça.
Toutes les choses qui peuvent polluer notre existence d'adultes tracassés par le travail, les factures à payer, le quotidien à gérer, la famille et les amis à ne pas négliger... elle ne les connaîtra probablement jamais.
Toutes les émotions qui nous assaillent et nous empêchent d'avancer, elle ne s'en embarrassera pas. Elle n'a pas "la même palette que nous en magasin"...
Je vois bien qu'elle tente des fois de décoder les expressions faciales d'autrui. De voir ce qu'elles signifient. Moune a acquis la capacité d'en interpréter pas mal mais essentiellement les nôtres parce qu'elles lui sont familières... En gros, si quelqu'un qu'elle connait peu est triste, en colère ou content, elle n'y fera probablement pas attention. Par contre, si cette personne veut lui communiquer sa joie de vivre par des blagues... sa rogne par des gestes brusques... sa mélancolie par des confidences... Moune sera démunie et se refermera sur elle-même. Elle partira dans la plupart des cas.
Moune est dans son monde à elle. Un monde où tout va bien. Ou il suffit de vivre à l'état pur pour avancer... elle ne ment jamais. Elle ne comprend pas la méchanceté. Ca rejoint sa difficulté à décoder les émotions. Elle est toujours contente car sa vie est tracée, organisée comme elle l'aime. Elle n'aspire à rien d'autre. Son rythme quotidien est très programmé, elle le connait par coeur et l'accomplit avec rigueur :
 Dormir à telle heure, se lever pour entamer sa journée de lycéenne, engloutir son petit déjeuner, passer un quart d'heure sur son ordi avant de prendre ses vêtements du jour posés sur sa commode depuis la veille au soir... prendre son bus... descendre au bon arrêt... aller voir le tableau des profs absents pour ne pas attendre inutilement devant une salle de cours... attendre dans les couloirs du lycée dans un endroit peu fréquenté, assise par terre, aux inter-classes ou pendant une perm... manger à la cantine, seule pour ne pas être mal accompagnée... ou revenir à la maison si la coupure du midi est assez longue... si c'est le cas, manger vite et en profiter pour jeter un oeil à son ordi... descendre pile à l'heure pour reprendre son bus... revenir le soir fatiguée mais libérée... goûter très vite pour régler le problème des devoirs en quelques minutes... puis allumer son ordi... descendre dîner devant le Grand Journal de Canal Plus... monter se doucher, mettre ses habits dans la corbeille à linge... caliner les chiennes... préparer son sac de cours pour le lendemain... puis proposer à Zoé une petite soirée DVD... dire bonne nuit et s'endormir en jetant un dernier oeil à sa tablette...
Moune se satisfait de cette vie si simple et basique.
Elle est heureuse comme ça.
Toute sa vie sera belle à partir du moment où elle pourra accomplir les tâches qu'on lui demande de faire dans l'ordre où elle aura appris à les faire.
L'initiative, la prise de risque, elle ne sait pas ce que c'est.
Elle veut bien faire les choses à condition qu'on lui indique comment et dans quel but il faut qu'elle les fasse. Elle est toujours volontaire. Et d'une grande gentillesse.
Nous avons construit notre bulle familiale autour de cette simplicité et de cette rigueur.
Moune a certainement pu y trouver l'équilibre qu'elle a aujourd'hui.
Et c'est tout ce qui compte.
Cette année, c'est le Bac... et après c'est l'inconnu. La fin d'un cadre scolaire rassurant.
Nous avons du mal à nous projeter. C'est compliqué. Les étudiants Asperger sont rares donc peu pris en compte dans leur singularité.
Nous allons tout faire pour que la suite de ses études ne viennent pas altérer cet équilibre.
Pour qu'elle puisse continuer à être bien dans sa petite vie...

vendredi 5 juin 2015

Shatter me

Je vous le disais dans mon tout premier billet... j'ai deux autres filles. Une aînée née en 1994 et une petite dernière née en 1999. Moune est au milieu.

J'ai toujours voulu trois enfants. Il y a plein de choses comme ça, que je m'étais promises de réaliser... comme si c'était mon idéal, ma marche à suivre. Et que rien ne devait contrecarrer mes plans. C'est probablement à cause de mon enfance que j'ai cette fâcheuse tendance à me fixer des buts à atteindre. Mais ce n'est pas le sujet de ce blog.
Disons que je suis têtue et que je n'aime pas renoncer.

J'ai donc eu une première grossesse que je peux qualifier de merveilleuse. Tout s'est bien passé. Ma fille aînée est arrivée 15 jours avant terme. Elle était jolie comme un coeur. Elle a poussé comme un champignon et était un rayon de soleil. Ce qui fait qu'un an et demi plus tard, on a mis en route la deuxième.

La deuxième, c'est Moune... elle est née 3 mois avant terme. Rien ne s'est bien passé. Un hématome à 6 semaines de grossesse. Une fatigue chronique. L'impression d'avoir une boule de pétanque qui pèse sur le pubis, tout le temps. Un mal de reins persistant. Un herpès à l'oeil à 4 mois de grossesse. Un mariage en province qui m'oblige à faire de la route et m'épuise complètement, toujours à 4 mois de grossesse... suivi d'un week-end à Londres... et bien sûr, pas d'arrêt de travail. J'étais encore au guichet du bureau de poste où je bossais le jour où on m'a hospitalisée pour col ouvert... et contractions... enceinte de 5 mois et trois semaines.

J'ai eu un accouchement traumatisant...
J'ai eu des recommandations de ne pas avoir d'autres enfants, ne sachant pas à quoi attribuer cette grande prématurité... il valait mieux... ne pas tenter le diable... être raisonnable...
J'ai du mal avec la fatalité. Ca m'énerve.
En plus, je suis impulsive, je fonce et je réfléchis après. Heureusement, je suis intuitive aussi. Mais ça, ce sont les autres qui me le disent quand je leur prévois des petits trucs insignifiants qui finissent par arriver...
Donc j'ai suivi mon intuition.
J'ai toujours su que j'allais avoir trois filles. Je l'avais dit à ma mamie quand j'étais ado. J'avais même collé un poster d'Anne Geddes représentant trois fillettes dans une baignoire en émail... sur mon mur de chambre tout bleu... juste au dessus du portrait de Kate Bush dans son clip Running up that hill... il m'a même suivi dans mon premier appartement. Il était placé dans l'entrée, au dessus de la cage de mes chinchillas... il y est resté jusqu'à la naissance de ma petite dernière...

Ma troisième grossesse fut très surveillée et j'ai arrêté mon travail d'assistante maternelle au bout du premier trimestre. J'avais passé mon agrément quand Moune avait deux ans, jugeant préférable de rester à la maison pour l'élever. Et tenant compte qu'il fallait mettre du beurre dans les épinards... malgré tout. On m'a conseillé le repos total. J'ai pris conscience que je devais préserver mon futur bébé au maximum mais nous vivions sur Paris, mon mari et moi, sans nos proches autour de nous. J'avais deux filles de 4 et 2 ans. Moune ne marchait toujours pas et piquait des colères noires malgré sa grande douceur apparente. Je devais tout gérer. J'avais pris ça très à coeur ayant pris la décision d'avoir un autre enfant malgré les risques annoncés...
Et j'ai géré... Ma petite dernière est née deux semaines avant terme, le matin du réveillon de Noël 1999.
En y repensant, et en connaissant la personnalité de ma troisième fille, elle a forçément mis son grain de sel pour que tout se passe bien. Ce n'est pas possible autrement. Elle a clairement tout fait pour se faire petite dans mon ventre, et me laisser tranquille. Elle est comme ça Zoé. Elle veut rendre les gens heureux, tout le temps. C'est une amoureuse de la vie, une optimiste à toute épreuve. C'est aussi un volcan. Qui explose mais vous enveloppe juste après d'une étreinte chaleureuse pour vous dire qu'elle s'excuse... qu'elle espère que vous allez bien...

Zoé est arrivée dans la vie de Moune quand celle-ci avait trois ans et trois mois...
Il y avait eu l'entrée à l'école maternelle pour Moune... je ne l'y mettais que le matin. J'avais repris un congé parental et ne prévoyais de reprendre mon travail de nounou que quand Zoé serait scolarisée. J'avais besoin de temps pour comprendre ce que l'institutrice de petite section me répétait à chaque fois que j'arrivais à l'entrée de sa classe... Moune était assise au fond, sur un banc, isolée des autres... ses deux petits mains nouées devant sa bouche comme pour se protéger, se cacher... Elle m'attendait en regardant le plafond, le bout de ses pieds... et quand elle entendait ma voix au loin, elle affichait un soulagement, une délivrance, qui me crevaient le coeur... elle se levait maladroitement et arrivait sur la pointe des pieds... elle ne me faisait jamais de gros calins, mais elle enfouissait sa tête dans mes jambes comme pour disparaître sous ma jupe... l'institutrice commençait alors son éternel refrain : "Elle ne veut pas se mélanger aux autres... elle est lente... elle ne répond pas aux consignes... elle semble ailleurs... ce n'est pas normal... je suis inquiète... vous avez pensé à l'autisme? je suis sûre qu'elle l'est..."
Je rentrais fracassée. Des fois des larmes coulaient sur mes joues alors que revenais à la maison, accrochée à ma poussette...
Je ne connaissais pas l'autisme.
Du moins pas assez.
Je n'avais vu que Rain Man.
J'avais un ressenti, un pressentiment.
Mais je n'avais pas assez de connaissance médicale sur le sujet pour l'envisager.

En tout cas, Zoé est arrivée à un moment difficile de ma vie. Où ce terrible mot a commencé à prendre tout son sens...
Autisme...
Je commençais à douter que tout cela soit dû à de simples séquelles motrices de grande prématurité.
J'ai recherché Autisme sur internet... j'ai douté... je n'avais pas pensé au syndrôme d'Asperger...
Quelques mois plus tard, je suis tombée sur une émission de Jean-Luc Delarue qui passait le mercredi soir... c'était un débat, ça s'appelait "Ca se discute" je crois... il y avait un jeune homme Asperger sur le plateau... qui était obsédé par les trains...
Ce soir-là, j'ai su. J'ai tout compris. J'ai pleuré en silence. De soulagement et de trouille à la fois.
J'ai tremblé en montant me coucher, j'ai mal dormi. Je n'ai parlé de ce sentiment d'avoir trouvé ce dont souffrait Moune que le lendemain à mon mari...
Il était réceptif, mais pas convaincu autant que moi...
Appelons-ça de la prudence... de la raison...
Toujours est-il que Zoé a passé sa première année de vie à me regarder tournoyer dans tous les sens entre sa soeur aînée, Julie, qui nous maternait tous et continuait de nous faire rire avec ses pitreries... et Moune qui vivait mal sa scolarité et semblait développer des angoisses bizarres...
Zoé a été sage comme une image. Un bébé facile, heureux, dormeur.
Elle nous scrutait tous et nous souriait sans cesse.
Elle a continué à grandir en développant cette bienveillance et est devenue très proche de Moune.
Elle a partagé sa chambre.
Elle a joué avec elle.
Elle ne l'a jamais brusquée.
Elle réussissait à l'aimer sans avoir besoin de l'étouffer, comme j'avais tendance à le faire, et Moune a pris confiance en Zoé. Plus qu'en personne d'autre.
Zoé a toujours encouragé Moune. Et quand une réaction de rejet, de panique, envahissait Moune, Zoé ne se braquait pas. Et réussissait même à passer à autre chose pour contourner la crise de sa soeur... et l'apaiser...
Zoé n'a jamais voulu accordé de traitement de faveur à Moune...  elle fut autant surprise que sa soeur quand elle a appris le diagnostic de syndrôme d'asperger, il y a trois ans... comme si ça ne pouvait pas être possible... comme si Moune était juste différente mais pas autiste pour autant...
Nous le savions avec mon mari, que c'était de l'autisme. Depuis des années. Mais aucun médecin n'avait voulu le mettre noir sur blanc dans son dossier pour ne pas empêcher la poursuite de la scolarité de Moune en milieu ordinaire... donc nous n'en parlions pas vraiment à la maison. Notre fille aînée savait probablement. Mais elle était tellement investie dans son rôle de pilier familial, de grande fille gentille et attentionnée... qu'elle ne voulait pas nous donner de soucis supplémentaires en abordant le sujet... elle nous voyait tellement accaparés par Moune...(je parlerai davantage de Julie dans un autre billet...)
Zoé a été et est toujours la meilleure amie de Moune.
C'est presque fusionnel.
Zoé a incontestablement permis à Moune de bluffer dans son quotidien hors de la maison... de brouiller les pistes... tellement elle lui a appris à jouer la normalité...
Moune est une jeune fille Asperger mais elle a un niveau de sociabilité relativement élevé par rapport à certains aspis...
Elle pratique l'humour...
Elle n'aime pas être seule à la maison... notre présence la rassure...
Elle aime ses proches et elle nous le montre...
Zoé ne sait pas comment elle a fait ça... pourquoi elle s'est toujours comportée comme ça avec Moune... quand on lui dit qu'elle a un don pour ça, pour aller vers les autres et savoir comment se comporter avec eux... les faire se sentir bien... elle rigole... elle dit qu'elle n'a rien fait d'extraordinaire...
Pourtant, c'est le cas.

Lindsey Stirling est l'une des interprètes préférées de Zoé. Cette entête lui est dédicacée...
                               

mardi 2 juin 2015

I Love you always forever

 

Moune est née à Paris en 1996. Nous vivions auparavant dans le 93. Tout semblait couler de source. Notre avenir était tracé. Nous étions mariés, fonctionnaires, avions déjà une fille de deux ans... envisagions d'acheter une maison en banlieue. Une petite vie tranquille, il ne manquait que le chien et nous étions la vraie petite famille parfaite. Notre couple était solide puisqu'issu d'un amour de jeunesse... commencé sur les bancs de la sixième, au collège... nous n'avions peur de rien.

Heureusement d'ailleurs. Car quand la naissance de Moune s'est annoncée un 15 septembre au lieu d'un 15 décembre, il a fallu être bien dans notre vie et dans notre tête. La liste des séquelles d'une telle naissance prématurée nous est parvenue brutalement de la bouche de l'équipe médicale... alors que j'étais sur la table d'accouchement, à regarder avec détachement le sac poubelle que la gynécologue tendait pour accueillir ma fille... j'étais comme anesthésiée par le déroulement des évènements. Je ne comprenais rien et pourtant j'ai parfaitement retenu ce que notre bébé risquait d'avoir comme vie future. Le mot handicap revenait sans cesse dans la conversation de l'obstétricienne. j'étais sidérée par la façon dont elle m'énumérait les choses mais bizaremment, je n'étais pas inquiète. Je revoyais ma mère à son travail, elle était auxiliaire de soins dans un foyer APF (Association des Paralysés de France). Je me disais que la vie avait gentiment voulu me préparer à ce qui m'attendait. Je trouvais ça pathétique mais je n'arrivais pas à être en colère. .. 
Moune est née à 28 semaines de grossesse. Elle pesait 1,100kgs. Elle a respiré de façon autonome au bout de 24 heures. Elle est restée deux mois en néonatologie à l'hopital Trousseau, dans le 12ème arrondissement de Paris. 
Je n'ai jamais eu peur qu'elle meure. Jamais.
Et je ne sais toujours pas pourquoi.
J'ai pris un congé parental.
Je n'ai jamais repris mon travail de fonctionnaire, je suis en disponibilité depuis 15 ans.
Du jour où Moune a plongé son regard bleu azur dans le mien, alors qu'elle tentait péniblement de liquider un malheureux biberon de 60ml une nuit de décembre 1996.. j'ai su que rien ne serait plus comme avant.
Elle n'avait pas le même regard que sa soeur.
La nourrir était difficile après deux mois de gavage en néonatologie. Moune semblait souffrir à chaque gorgée qu'elle avalait.
Je passais de longues minutes la nuit à tenter de lui faire garder quelques portions de lait. elle vomissait pratiquement tout ce qu'elle ingurgitait.
Pour combler le silence qui s'installait déjà entre nous à cette époque, je mettais MTV en sourdine et souriais depuis mon fauteuil Powang aux Sans-Papiers qui squattaient l'immeuble en face de chez nous... Chaque nuit, l'un d'entre eux fumait sa clope depuis une fenêtre à la hauteur de ma baie vitrée. C'était presque un rdv nocturne. Un moment de bienveillance échangé... Cet homme n'avait rien dans la vie, à part cette cigarette à griller... et moi, j'étais supposée avoir tout, assise là à bercer mon bébé dans la pénombre. Pourtant j'étais plus que démunie face à cette petite fille atypique... un vide prenait place chaque nuit dans mon bide, un vide grandissant. Je me sentais coupable d'afficher un tel desarroi face à cet homme qui n'avait rien. Je n'avais pas le droit d'aller mal... pas face à lui. J'étais si fatiguée.
La télé était la seule lueur de la pièce... Je retombais souvent sur la même programmation musicale et à l'époque, Donna Lewis avait su trouver les mots qu'on n'arriverait jamais à se dire, Moune et moi... 
Cette chanson me prend les tripes à chaque fois que je l'écoute.
Je donnerais n'importe quoi pour revivre une de ces nuits de décembre 1996, tout en sachant ce que je sais aujourd'hui...
Ce serait tellement plus facile de plonger dans le regard fuyant de Moune sans me demander pourquoi elle faisait cela...
J'aurais tellement de choses réconfortantes à lui dire, là, penchée au dessus de son nez à la regarder tétouiller difficilement son biberon...
J'aurais pu sourire davantage à l'homme à la cigarette...
J'aurais pu être apaisée et profiter encore plus du moment présent...
Rhalala... si j'avais su...
Mais bon...