mardi 2 juin 2015

I Love you always forever

 

Moune est née à Paris en 1996. Nous vivions auparavant dans le 93. Tout semblait couler de source. Notre avenir était tracé. Nous étions mariés, fonctionnaires, avions déjà une fille de deux ans... envisagions d'acheter une maison en banlieue. Une petite vie tranquille, il ne manquait que le chien et nous étions la vraie petite famille parfaite. Notre couple était solide puisqu'issu d'un amour de jeunesse... commencé sur les bancs de la sixième, au collège... nous n'avions peur de rien.

Heureusement d'ailleurs. Car quand la naissance de Moune s'est annoncée un 15 septembre au lieu d'un 15 décembre, il a fallu être bien dans notre vie et dans notre tête. La liste des séquelles d'une telle naissance prématurée nous est parvenue brutalement de la bouche de l'équipe médicale... alors que j'étais sur la table d'accouchement, à regarder avec détachement le sac poubelle que la gynécologue tendait pour accueillir ma fille... j'étais comme anesthésiée par le déroulement des évènements. Je ne comprenais rien et pourtant j'ai parfaitement retenu ce que notre bébé risquait d'avoir comme vie future. Le mot handicap revenait sans cesse dans la conversation de l'obstétricienne. j'étais sidérée par la façon dont elle m'énumérait les choses mais bizaremment, je n'étais pas inquiète. Je revoyais ma mère à son travail, elle était auxiliaire de soins dans un foyer APF (Association des Paralysés de France). Je me disais que la vie avait gentiment voulu me préparer à ce qui m'attendait. Je trouvais ça pathétique mais je n'arrivais pas à être en colère. .. 
Moune est née à 28 semaines de grossesse. Elle pesait 1,100kgs. Elle a respiré de façon autonome au bout de 24 heures. Elle est restée deux mois en néonatologie à l'hopital Trousseau, dans le 12ème arrondissement de Paris. 
Je n'ai jamais eu peur qu'elle meure. Jamais.
Et je ne sais toujours pas pourquoi.
J'ai pris un congé parental.
Je n'ai jamais repris mon travail de fonctionnaire, je suis en disponibilité depuis 15 ans.
Du jour où Moune a plongé son regard bleu azur dans le mien, alors qu'elle tentait péniblement de liquider un malheureux biberon de 60ml une nuit de décembre 1996.. j'ai su que rien ne serait plus comme avant.
Elle n'avait pas le même regard que sa soeur.
La nourrir était difficile après deux mois de gavage en néonatologie. Moune semblait souffrir à chaque gorgée qu'elle avalait.
Je passais de longues minutes la nuit à tenter de lui faire garder quelques portions de lait. elle vomissait pratiquement tout ce qu'elle ingurgitait.
Pour combler le silence qui s'installait déjà entre nous à cette époque, je mettais MTV en sourdine et souriais depuis mon fauteuil Powang aux Sans-Papiers qui squattaient l'immeuble en face de chez nous... Chaque nuit, l'un d'entre eux fumait sa clope depuis une fenêtre à la hauteur de ma baie vitrée. C'était presque un rdv nocturne. Un moment de bienveillance échangé... Cet homme n'avait rien dans la vie, à part cette cigarette à griller... et moi, j'étais supposée avoir tout, assise là à bercer mon bébé dans la pénombre. Pourtant j'étais plus que démunie face à cette petite fille atypique... un vide prenait place chaque nuit dans mon bide, un vide grandissant. Je me sentais coupable d'afficher un tel desarroi face à cet homme qui n'avait rien. Je n'avais pas le droit d'aller mal... pas face à lui. J'étais si fatiguée.
La télé était la seule lueur de la pièce... Je retombais souvent sur la même programmation musicale et à l'époque, Donna Lewis avait su trouver les mots qu'on n'arriverait jamais à se dire, Moune et moi... 
Cette chanson me prend les tripes à chaque fois que je l'écoute.
Je donnerais n'importe quoi pour revivre une de ces nuits de décembre 1996, tout en sachant ce que je sais aujourd'hui...
Ce serait tellement plus facile de plonger dans le regard fuyant de Moune sans me demander pourquoi elle faisait cela...
J'aurais tellement de choses réconfortantes à lui dire, là, penchée au dessus de son nez à la regarder tétouiller difficilement son biberon...
J'aurais pu sourire davantage à l'homme à la cigarette...
J'aurais pu être apaisée et profiter encore plus du moment présent...
Rhalala... si j'avais su...
Mais bon...
                                                                                                                                                                                              

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