samedi 1 septembre 2018

Do it


Ca fait un bail que je ne suis pas venue ici.
Il faut dire que beaucoup de choses ont changé durant ces presque deux années.
Je me dois de commencer en disant que Moune va bien. Même très bien.
Ce blog tourne autour d'elle, il est normal que j'éclaircisse sa situation avant tout le reste.
Elle va avoir 22 ans dans deux semaines.
Elle a arrêté ses études pour se consacrer à sa passion : la modellisation informatique.
Elle est autodidacte et fait ses créations depuis la maison.
Elle se perfectionne.
Elle crée et publie sur son sîte.
Elle a des personnes qui la suivent et l'encouragent.
Elle a même entamé une relation avec une jeune fille, devenue une amie sincère, grâce à internet.
Nous lui parlons "freelance" dans un avenir proche.
Elle nous répond qu'elle n'est pas encore prête.
Elle a réalisé cet été la "maquette" d'un jeu basé sur un autre qui existe déjà et qu'elle aime beaucoup.
Nous avons été bluffés. Et très fiers d'elle.
Nous avons fait un pari, elle et moi : le jour où elle met au point le jeu vidéo qu'elle a en projet... j'entame la rédaction du roman qui sommeille dans ma tête depuis des années...
C'est un bon deal. Qui nous rapproche. Et nous stimule.
Je sais que la création d'un jeu est un challenge énorme pour elle.
Elle sait qu'écrire un roman est un rêve inassouvi pour moi.
La vie va faire les reste.
J'ai arrêté de me projeter.
Je savoure le moment présent.

Notre présent est parisien. Nous ne vivons plus en Gironde. Je ne sais pas si j'avais mentionné à un quelconque moment l'endroit où nous vivions quand j'ai commencé ce blog...??... toujours-est-il que nous sommes revenus vivre dans notre bonne vieille capitale. Celle qui a vu naître Moune. Cette décision fut prise suite à des démarches infructueuses que j'ai enclenché après l'obtention du bac de Moune... j'avais rempli "ma" mission. Mener Moune à l'autonomie. A la réussite scolaire. Je n'y étais pas arrivée seule, bien sûr que non. Mais j'étais celle qui était restée en suspens depuis 20 ans. Et je me devais de reprendre le cours de ma vie. Mes démarches en territoire aquitain ont été vaines. Je ne pouvais pas être "postière" dans ce département saturé de fonctionnaires. Il me fallait démissionner et tout reprendre à zéro. Et même si je pense être quelqu'un de combatif, je ne me sentais pas l'envie de reprendre mes études après 20 années à surveiller celles de Moune.
J'ai donc pris la décision de reprendre mon travail de "postière" là où il s'était arrêté. Et là où légalement je pouvais le récupérer. C'est à dire à Paris.
Je n'ai pas pris cette décision seule. Il me fallait l'accord de mon mari, de mes filles. Julie était déjà devenue parisienne depuis un an, suite à son embauche à Disneyland Paris. Elle était donc plutôt favorable à notre déracinement.
L'ironie du sort a voulu que je sois nommée dans le même bureau de poste où je travaillais il y a 25 ans.
J'ai été surprise de cette coïncidence sans l'être vraiment. J'avais passé mon temps à répéter que je faisais une parenthèse pour élever Moune. Et comme toute parenthèse, elle se referme et laisse place à ce qui existait déjà avant...

Cela fait un an que j'ai repris mon travail. Un an que nous vivons en proche banlieue dans un appartement très agréable à vivre. Un an que je ré-apprends à sortir de chez moi le matin pour aller au boulot. Un boulot que je ne maîtrise plus du tout et qui a énormément changé.
Moune le vit bien. Mon absence dans son quotidien ne la perturbe pas trop. On a su lui créer une petite vie tranquille qu'elle gère à son rythme. Elle apprécie beaucoup sa chambre... son nouvel environnement... les sorties culturelles que nous programmons... la proximité de Julie. Elle sort rarement seule car la phobie des transports en commun est son point faible. Zoé l'accompagne et passe beaucoup de temps avec elle à la maison en notre absence.
La facilité avec laquelle notre nouvelle vie se déroule bien est déconcertante.
Il a fallu tant d'énergie pour que cela se réalise... j'ai eu peur, tellement, de faire un mauvais choix.
Et tout est si logique aujourd'hui.
Il fallait juste repartir de là où tout s'était arrêté... ce 15 septembre 1996...
Juste ça.
Oui, "juste çà".
Car quand nous en parlons entre nous, il n'y a rien d'extraordinaire à avoir tout plaqué pour tout recommencer.
Par contre quand ce sont les autres qui nous en parlent, ils sont formels. Ca a dû être une décision difficile et courageuse à prendre. Ils ne se voient pas la prendre à notre place. Ils auraient eu peur.
Peur?...
La peur est la chose qui habite mon ventre depuis la naissance de Moune.
Je l'ai apprivoisée. Domptée. Des fois elle se rappelle à moi mais je ne la laisse plus m'envahir.
Je la trouve si ridicule par rapport à la peur que Moune devait avoir en elle chaque jour où elle franchissait la grille de l'école primaire... du collège... du lycée...
Elle devait affronter les autres, le bruit, l'incompréhension...
Je n'ai pas le droit d'avoir peur.
Tout est si facile à réaliser pour moi, en tant que neurotypique.
C'est sûr, ça aide à abattre des murs d'être la maman d'une jeune femme Asperger.
Je ne peux pas le nier. Je ne suis pas comme les autres mamans.
Et je ne suis pas comme tout le monde non plus.
Vivre avec Moune m'a rendue meilleure. Je ne veux pas dire que je suis la mère parfaite. Pas du tout. Je suis même persuadée que je figure parmi les mères les plus" permissives" et "critiquées"que je connaisse.
L'autisme de Moune m'a réellement appris à être à l'écoute des autres. A me mettre à leur niveau. A faire en sorte que tout se passe pour le mieux avec eux. Partout où je suis.
J'aime les gens. Pour ce qu'ils sont. Avec leurs particularités.
Il n'y a rien de compliqué à être comme je suis.
Il suffit de suivre le mode de vie que nous avons adopté grâce à Moune.
Sa franchise, sa gentillesse, son innocence nous rappellent à l'ordre chaque jour sur ce qui est important ou pas.
Et ce qui est important, c'est qu'on aille tous très bien...

mercredi 16 novembre 2016

Don't give up


Je ne suis pas de nature à abandonner. Je tombe très bas, en fait. Je touche le fond, comme on a coutume de dire. Mais généralement je donne un coup de talon et je remonte à la surface. Sans doute un peu plus amochée qu'avant. Il faut bien être honnête. Mais je remonte.
J'ai appris ça très jeune. Mon enfance, mon contexte familial, m'y ont obligée...(j'ai déjà tout raconté dans un autre blog que j'ai fermé il y a cinq ans. Je ne vais donc pas recommencer ici. Ce n'est pas le but. Ni le sujet.) C'est juste que mon côté fataliste me pousse à dire que sans cette enfance, je n'aurais pas la rage et la détermination que j'ai aujourd'hui.

Des creux de la vague, en tant que maman d'enfant autiste, j'en ai eux. Plein. Surtout au début. Quand j'ai su au fond de moi que Moune était différente de sa soeur aînée. Je passais des journées déroutantes, où Moune semblait perturbée par des choses insignifiantes du quotidien. Puis des journées normales. Probablement parce que Moune avait apprivoisé la petite chose insignifiante contre laquelle elle avait buté la veille mais qu'elle allait affronter desormais puisqu'elle lui était familière. Du coup je ne savais pas si je me faisais des idées. Ou si j'avais bel et bien une petite fille avec un mode opératoire différent. J'ai oscillé entre suspicion et déni. Des années. C'était fatigant. Je me sentais très seule. J'étais en congé parental. J'avais tout le temps d'analyser les choses. De les empirer. Ou de les atténuer.
J'étais perdue. On me demandait tout le temps si j'étais fatiguée.
Mais je sais aujourd'hui que les journées où je pensais me faire des idées, c'était juste pour avoir un répit. Un break. Une respiration.
Bien sûr, le déni, il est facile à mettre en place tant que personne ne vous contredit. Mais très vite, il vous échappe. Vous vivez des choses bizarres, vous vous prenez la tête à l'heure du repas pour une histoire de gobelet vert alors qu'habituellement c'est dans le jaune que vous mettez de l'eau... vous allez dans un magasin blindé de monde pour y prendre vite fait du lait pour le petit dej après la sortie scolaire de l'aînée, et vous déclenchez une crise de nerfs de votre demoiselle alors qu'elle a déjà mis les pieds dans ce magasin régulièrement... vous entendez les gens autour dire que ça manque d'autorité... que cette demoiselle finira cantatrice vu le "coffre" qu'elle a. Au début vous faites plaisir aux râleurs, vous sermonnez la plaintive qui hurle dans les rayons... mais vous voyez à son regard de bête effarouché que ce n'est ni du caprice, ni votre manque d'autorité dont il s'agit. C'est juste qu'elle ne va pas bien. Qu'il faut la sortir de là. Et vite.
Et vous rentrez dévastée.
Par le jugement des gens.
Et par la réaction démesurée de votre fille.
Et le temps passe.
Et sans vous en rendre compte, vous adoptez un mode de vie.
Vous savez ce qu'il faut éviter de faire pour enclencher une "crise" de panique. Vous vous adaptez. Vous savez que si c'est en mettant le verre jaune que le repas se passera bien, Il faut en prévoir trois exemplaires pour qu'il passe au lave vaisselle. Pour faire un roulement.
Vous faites vos courses aux heures de pointe que si elle peut rester au calme à la maison avec papa.
Vous ne la brusquez pas. Vous ne la grondez pas.
Puisque ça ne sert à rien. Ca aggrave les choses. Et ça vous met une boule dans le ventre de la voir se mettre dans de tels états. Tout le temps.
Vous vivez avec des petits rituels rassurants.
Vous en tirez même un bénéfice pour toute la famille. Vous êtes plus rigoureuse. Et finalement, la vie est drôlement bien quand elle est maîtrisée.
Le souci, c'est juste quand vous partez de chez vous pour aller chez papy et mamie, en vacances.... là vous avez envie de lâcher prise. De manger plus tard et dans des lieux bruyants. De visiter des endroits touristiques. De sauter dans les vagues.
Et votre fille semble déboussolée. fatiguée. Chouineuse. Elle a peur des vagues... du sable dans ses pieds... du parasol qui bouge avec le vent quand vous êtes en terrasse d'un restaurant.... du chien qui la frôle dans une rue piétonne touristique.
Bref, elle ne peut pas lâcher prise comme vous et vous en parlez le soir sur l'oreiller avec votre mari. Inquiète. La larme à l'oeil.
Et vous ne savez pas ce qui se passe.
La vie continue.
Les rigidités se consolident.
Vous essayez d'en parler avec elle.
Mais le dialogue est compliqué. Elle ne comprend pas ce que vous lui voulez.
Alors un jour, vous vous dites que vous allez tout codifier. Tout expliquer. Tout planifier. Avec des mots simples. Avec des outils pratiques de la vie quotidienne.
Vous lui donnez la veille au soir le planning pour la journée du lendemain. Verbalement.
Vous adaptez ce planning à sa fatigue, à ce qu'elle peut endurer.
En gros vous ne programmez pas le même jour la plage, le resto en terrasse et la ballade dans la rue piétonne avec les chiens qui vous lèchent la main en passant...
Vous répartissez.
Vous voyez qu'elle gère mieux.
Vous la laissez faire les activités qu'elle affectionne. Même si elles sont répétitives et généralement solitaires. Vous voyez qu'elle est excellente en jeux vidéos. Vous êtes vigilants mais vous acceptez cette prédisposition envahissante. Juste parce qu'elle prend confiance en elle. Et juste parce qu'elle va mieux.
Vous devez jongler avec le jugement des autres, de la famille.
Vous êtes complices avec votre conjoint. Vous faites bloc.
Si elle se lève de table parce qu'elle en a envie (en fait le bruit des conversations et la longueur du repas sont un calvaire pour elle)... et que ça passe pour de l'impolitesse, vous laissez faire et prenez les réflexions à sa place. Vous pouvez. Vous êtes blindés...
Car elle va mieux. Elle souffle là-bas au fond dans une chambre à lire une BD. Et ça, c'est ce qui compte le plus pour vous.
Vous avancez, comme ça. Heureux dans votre bulle familial... mais malmené par les autres en dehors de chez vous...
C'est le deal.
C'est la clé de tout.
Ce n'est pas facile.
Il y aura des hauts et des bas.
Des ras le bol.
Des coups de gueule.
Mais ça vaut le coup.

mardi 18 octobre 2016

I'm free

                               


Ca fait plus d'un an que je ne suis pas venir écrire ici. Je pense que la vie a pris le dessus. Le tourbillon, comme on dit si bien...
Ce n'est pas faux.
Beaucoup de choses ont changé chez nous.
Mais la chose primordiale, qu'il faut que je dise avant tout, c'est que Moune a bien eu son bac en juin 2015.
Quel soulagement... quel bonheur...
J'ai tellement "rêvé" ce moment. Je le voyais comme un défi, un aboutissement... une délivrance.
Il fallait que toutes ces années de scolarité, où Moune a dû jouer le rôle de la "normalité", soient récompensées. Qu'elle n'ait pas subi tout cela pour rien. Qu'elle puisse avoir ce fameux bac en poche et souffler... enfin...
Je ne vous le cache pas. Ce ne fut pas sans mal.
Moune avait choisi une filière S-SVT... depuis son entrée au lycée, en seconde, on avait mis en place un PPS (plan personnalisé de scolarité). Cela lui permettait de disposer en classe d'un ordinateur portable, un netbook, pour prendre ses cours. D'être dispensée de sport. De bénéficier d'un tiers temps pour les épreuves écrites. De ne pas être interrogée oralement devant tous les élèves mais en aparté. Ce dernier point n'a pas été respecté par tous les profs. En seconde, Moune est revenue d'un cours d'espagnol complètement chamboulée. La prof lui avait imposé de travailler oralement en binôme. Comme elle ne prenait pas la parole, elle lui a demandé d'arrêter son cinéma. Que ça commençait à bien faire. Et elle criait. Sortait de ses gonds. On aurait dit que cette enseignante avait passé une sale journée et avait trouvé la personne la plus inoffensive possible pour passer ses nerfs. C'était si facile de s'en prendre à une jeune fille qui pense être reconnue en tant qu'autiste dans l'enceinte de l'établissement... qui ne comprend pas pourquoi elle doit travailler avec un autre élève à qui elle ne peut pas adresser la parole... qui perd donc ses moyens... qui a les larmes aux yeux... et qui rentre tremblante à la maison...
J'ai demandé des explications au proviseur.
J'ai demandé à rencontrer l'enseignante.
Elle n'a pas voulu.
Elle a laissé Moune dans un coin tout le restant de l'année scolaire.
J'ai pris sur moi. Je ne peux dialoguer qu'avec des personnes aptes à le faire.
Elle ne l'était pas.
En première, il y a eu le bac blanc oral de français...
Même schéma. Toute l'équipe enseignante avait connaissance du PPS dès le mois d'octobre. En avril, j'avais envoyé un mail à la prof de français qui avait en charge la première de Moune... une semaine avant l'épreuve orale... pour m'assurer qu'elle avait donné la consigne à sa collègue qui allait interroger Moune. Tout était bon.
L'épreuve orale a été catastrophique.
La prof lui a mis 5. Lui a dit qu'elle était bien gentille vu son attitude. Que le stress, ça se gère. Que c'est n'importe quoi. Qu'elle aura tout vu dans sa carrière.
Faut croire qu'elle n'avait jamais vu une personne atteinte du syndrôme d'Asperger.
Je peux le comprendre.
Mais elle avait un dossier médical où tout était expliqué dedans, transmis par sa collègue.
Enfin, transmis... c'était à se demander si ça avait été fait.
J'ai appelé le lycée pour comprendre ce "loupé".
Il fallait voir avec la prof qui avait dû transmettre les consignes à cette collègue sur la façon d'aborder ma "bizarre" de fille.
J'ai donc envoyé un mail interrogatif à cette personne chargée de passer la consigne. Pour m'assurer qu'elle l'avait bien fait.
Elle m'a dit qu'elle n'avait pas que ça à faire. Qu'elle n'était pas formée pour encadrer une élève comme ma fille. Qu'elle défendait l'attitude de sa collègue qui avait fait passer l'oral blanc à Moune.Que je ne devais pas m'attendre à ce qu'elle n'aille pas dans son sens vis à vis de Moune.
C'était cinglant. Dédaigneux.
J'ai répondu que je comprenais que les enseignants ne soient pas formés pour "ça". Mais que je pensais que le savoir-vivre et l'humanité ne s'apprenaient dans aucune formation. Qu'on l'avait juste en soi.
Elle n'a plus jamais répondu à aucun mail de ma part par la suite.
Même quand elle a eu Zoé, l'année dernière en première littéraire.
Il a fallu que je lui écrive un mail pour appuyer le refus de Zoé de participer au voyage scolaire en Italie. Je n'ai eu aucune réponse.
J'étais invisible. Insignifiante.
Comme l'était Moune à ses yeux.
En terminale, les choses se sont mieux passées durant l'année scolaire. J'ai dû juste me déplacer à la vie scolaire dès la rentrée.. pour signaler que Moune était toujours dispensée de sport. Et qu'elle n'irait pas au premier cours pour expliquer elle-même la raison de sa dispense au professeur, puisque son PPS le spécifiait. Et ce depuis trois ans. Ca n'a pas plu au CPE. Il fulminait devant moi. Et insistait sur le fait que Moune devait quand même aller passer deux heures sur un banc à regarder les autres faire du sport juste pour dire de vive voix qu'elle était dispensée de cette matière. Comme ça, le professeur jugera lui-même de l'authenticité de ses propos. L'évaluera. A vue d'oeil.
J'ai trouvé ça ridicule et j'ai dit qu'elle n'irait pas.
Que j'allais porter moi-même ce papier de dispense au professeur de sport , lui expliquer, et repartir.
Le CPE n'était pas d'accord. Je n'avais pas le droit de faire ça moi-même.
Que Moune pouvait faire un effort cette année.
Ce qui sous-entendait qu'elle y mettait de la mauvaise volonté.
Et que c'était à eux d'en juger.
Ce à quoi je lui ai demandé si Moune aurait besoin d'aller montrer la "validité" de son handicap à un professeur de sport, si elle était en fauteuil roulant?
Il m'a dit que ça n'avait rien à voir.
Ce à quoi j'ai répondu "Si, justement"
Et je suis allée voir moi-même le professeur de sport. Contre l'avis du CPE.
Avec Moune.
C'était une enseignante. Elle est venue de suite vers moi.
Elle m'a dit qu'elle connaissait Moune. Qu'elle savait pour son syndrôme d'Asperger. Qu'elle s'était documentée sur ce handicap. Qu'elle me remerciait de venir la voir directement mais que je n'en avais pas besoin. Que c'était gentil.
J'étais tellement contente de voir une personne aussi compréhensive en face de moi que je lui ai dit que j'appréciais vraiment tout ce qu'elle me disait. Que c'était rare d'entendre ça. Que c'était formidable. Qu'elle m'avait redonné le sourire.
Ca fait tellement de bien de tomber sur des personnes tolérantes, sensibles.
Mais ce bien-être fut de courte durée.
Le "vrai" bac est arrivé. Le lycée où les épreuves avaient lieu était de l'autre côté de notre ville. La plupart des élèves devaient prendre un bus et deux trams pour y accéder depuis notre banlieue bordelaise. Et pouvaient le gérer. Mais pas Moune. Mon mari a dû aménager son temps de travail pour l'amener. Aller manger avec elle le midi dans un mac do voisin ou un dans parc pour un pique-nique au calme... Moune était pleine de bonne volonté pour s'adapter aux nouveaux locaux, chercher les salles de cours... mais heureusement que son père l'accompagnait car il y a eu un souci d'ordinateur, et de clé USB... pour le déroulement des épreuves... et les suivantes... du coup il fallait à chaque fois aller vider la clé avec un enseignant, ailleurs, pour s'en resservir ensuite... bref c'était un stress supplémentaire... mais elle a pris sur elle. On était scotché. Fier d'elle. Toujours.
Seule l'épreuve de maths ne nécessitait pas d'ordi.
Les programmes pour un bon rendu graphique dans une telle matière étaient trop chers.
Donc elle faisait l'épreuve sur papier, comme n'importe quel élève.
Et bien sûr, le correcteur n'avait aucun moyen de connaître son handicap.
Moune est dyspraxique. Comme beaucoup de grands prématurés. Et comme beaucoup d'asperger aussi.
Le jour des résultats, nous avons choisi de les regarder sur internet.
Moune avait peur mais malgré tout elle était confiante. Elle avait estimé que ça pouvait passer.De justesse.
Julie a regardé pour nous. J'étais trop pétrifiée. Mon mari était serein, en apparence. Comme Zoé.
Rattrapage.
L'horreur. Le gouffre qui s'ouvre sous les pieds de Moune. Sous les miens.
Cela voulait dire affronter un inconnu à l'oral qui ignore son handicap.
Parler.
Regarder dans les yeux.
Respirer.
...
Nous sommes partis tous les trois au lycée, loin. Le trajet fut long mais je n'arrêtais pas de dire à Moune que ça allait s'arranger. Qu'elle aurait son bac. Elle était solide, silencieuse.
Nous avons eu le bulletin de notes.
2 en maths.
Avec un tel coefficient, en S, ça expliquait tout.
Moune a pleuré. Effondrée. Perdue.
J'ai pleuré aussi, de colère.
Mon mari était silencieux.
Beaucoup de parents et d'élèves grouillaient autour de nous. certains heureux, d'autres déçus. Mais sûrement pas dans notre état de désespoir. Ca ne pouvait pas être insurmontable à ce point, lisait-on dans leurs yeux...
Mais on était dans notre bulle.
Un prof est venu vers moi. Interpellé sans doute. Ou surpris de voir trois paumés dans le hall pour qui la terre avait cessé de tourner.
J'ai expliqué. En vrac. Avec plein d'émotion. Que ce 2 était dû au fait que la copie devait être illisible. Bâclée. Bizarre. Incompréhensible. Pas digne d'être décryptée.
Que le correcteur n'avait pas pris en compte le handicap.
Forçément. Rien ne permettait de le savoir.
Que j'avais alerté l'éducation nationale sur ce point, en avril, deux mois avant le bac.
Comme quoi il fallait un indice, quelque chose qui fasse que le correcteur soit indulgent avec le soin, la maladresse, et le manque d'habitude de travailler sans ordinateur depuis trois ans.
J'avais eu comme réponse que rien ne pouvait être fait pour signaler le handicap de Moune sur cette épreuve. Vis à vis du correcteur. Que sa copie serait parmi toutes les autres. Parmi les "normales".
Que je devais arrêter de voir les enseignants comme des monstres sans coeur.
Que bien sûr ce correcteur prendrait le temps de déchiffrer, de comprendre, le raisonnement fouillis de ma fille.
Et noterait en conséquence.
Blablabla.
Le proviseur du lycée est arrivé derrière nous. Et il m'a dit de sortir du hall et de venir lui redire tout ça dans son bureau.
J'ai tout répété.
J'ai dit que Moune allait avoir beaucoup de mal à faire cette épreuve orale de rattrapage.
Que c'était injuste.
Que le jury qu'elle allait affronter devait savoir pour son syndrôme d'Asperger.
Sinon elle allait se reprendre un 2.
Il m'a dit que c'était impossible de les prévenir.
Interdit.
Vis à vis des autres... elle bénéficierait d'un traitement de faveur.
C'était déloyal.
Je lui ai dit qu'il n'y a pas de texte de loi là-dessus.  Sur les conditions de déroulement d'un oral de bac pour un asperger.
Je lui ai dit que la France traitait mal les autistes.
Que la scolarité toute entière de Moune avait été un combat. Un acharnement. Un défi.
Que son bac, elle avait les capacités de l'avoir, tellement...
Que j'allais donner un mot à ma fille avec un petit texte pour décrire son syndrôme... pour qu'elle le donne au jury en arrivant. Juste pour qu'elle soit acceptée telle qu'elle est. Et notée en considérant sa singularité.
Le proviseur m'a interdit de le faire.
Il a dit que la CPE serait là au début de l'épreuve de Moune. Qu'elle l'accompagnerait vers le jury et leur dirait elle-même qu'elle est autiste.
C'est tout ce qu'il pouvait faire.
J'ai rencontré la CPE. Elle m'a dit "Comptez sur moi".
Le jour de l'épreuve de rattrapage. La CPE n'a jamais pointé son nez...
Mon mari était avec Moune, à attendre dans le couloir... seul.
Il a choisi de parler avec elle de ses passions pour la détendre. Pour détourner son stress.
Elle avait un mot glissé dans sa poche. Rédigé par mes soins, à l'ordi.
quand on l'a appelée, il lui a dit "donne-le". Ca va aller Moune...
Le mot disait :
"Bonjour, je suis atteinte du syndrôme d'asperger. Je vais faire de mon mieux pour réussir cette épreuve. Je vous demande de m'excuser si j'ai une voix monocorde, un regard fuyant. Je vous remercie pour votre compréhension."
Et au dos j'avais imprimé en 5 lignes les caractéristiques majeures du syndrôme d'Asperger.
Elle l'a donné à une des deux personnes en arrivant dans la salle de cours.
Elle a comblé tous ses points de retard.
Une démonstration détaillée et maîtrisée. Du rarement vu.
Le jury a été conquis.
Moune a vu tous ses efforts récompensés.
Son courage, son acharnement, son travail...
Durant toutes ses années d'école...
J'aurais été si en colère qu'elle ne l'ait pas.
J'aurais tapé à toutes les portes.
J'aurais dénoncé ce système absurde...
J'aurais rien lâché...
Mais elle a donné le meilleur d'elle-même.
Comme toujours.
Nous sommes allés à la pizzeria de son choix pour fêter ça.
Mais deux jours avant. Le jour où on a su qu'elle n'avait pas son bac.
Parce qu'on avait prévu ce soir-là d'y aller.
On avait dit "le jour des résultats du bac".
Et pour Moune, c'était celui des résultats donnés sur le net.
Pas quand elle l'a eu "vraiment". Deux jours après.
Donc on a rien changé.
On a trinqué quand même. Sans savoir si elle l'avait.
Moune est comme ça.
Quand les choses sont prévues, on applique ce qui a été dit.
Toujours.

dimanche 7 juin 2015

Golden Baby

Golden Baby, c'est comme ça qu'il nous arrive de surnommer Julie. C'est un ami qui a trouvé ce surnom. Je trouve qu'il a tapé dans le mille.
Il y a quelque chose d'elle dans Béatrice, la chanteuse de Coeur de Pirate. Et comme j'avais dit que je mettrais des vidéos de chansons en entête de mes billets, qui ont un rapport avec le contenu qui suit, j'ai respecté la règle du jeu.
Pour mon frère, c'est l'actrice Amanda Siefrid qui lui fait instantanément penser à sa nièce.
Pour ma belle-mère, c'est la jeune chanteuse Louane...
Pour moi, c'est Scarlett Johansson dans le film "Un nouveau départ" qui représente le mieux Julie dans son intégralité...  Tout est là : la ressemblance physique, le naturel, la sensibilité, la force de caractère, l'authenticité... la vie qu'elle aimerait mener. L'idée de l'amour qu'elle se fait...
Je pourrais presque arrêter d'écrire et vous dire de regarder ce film (il est vraiment chouette en plus, il fait passer un bon moment!)... Ca reste pour moi le copié/collé le plus réaliste pour définir ma fille aînée...

Julie a deux ans de plus que Moune. On voulait peu d'écart d'âge entre nos enfants.
Comme je l'ai dit dans un billet précédent, elle a poussé comme un champignon. Elle était la première petite fille tant pour mes parents, que pour mes beaux-parents. Elle était la princesse. Je suis sûre qu'elle conviendra que ce terme lui va à ravir tant elle est fan de Disney.
Lorsque j'étais enceinte de Moune, nous étions sur le point de déménager pour un plus grand appartement en plein 12ème arrondissement de Paris. Julie n'allait plus être gardée par sa nounou, une femme formidable, là où nous habitions, dans le 93.. je savais que la naissance de Moune, suivie du congé maternité, mènerait jusqu'à la rentrée en maternelle de Julie. Tout s'embriquait bien. On ne pouvait pas rêver mieux.

Bien sûr, rien ne s'est passé comme prévu. Moune est née un mois avant notre déménagement. Celui-ci s'est fait sans moi car je passais mes journées auprès de mon tout petit bébé en néonatologie... j'étais coupée de toute réalité... en survie... Julie était gardée par les papies et mamies venus repeindre les murs du nouveau logement, refaire les sols... il y avait comme une urgence à tout asseptiser, à rendre propre... Julie était gaie comme un pinson, fidèle à elle-même. Elle venait voir sa petite soeur à travers les vitres du service de grand-prématurés, accompagnée par mon mari quand il terminait son travail. Elle était très appréciée par les infirmières.

Julie a toujours été appréciée par tous les adultes qui se sont occupés d'elle.

Je n'ai jamais repris mon travail de postière après la naissance de Moune. Je l'ai déjà dit, je crois. Donc Julie a pu profiter de moi 24h sur 24, d'une petite vie calme et d'une entrée en maternelle en souplesse... elle voyait bien que j'étais très occupée par Moune qui était un petit bébé fragile et peu réceptif aux sauts et aux grimaces qu'elle faisait devant son relax... mais elle ne posait pas de questions. C'était comme ça. Du coup elle me parlait beaucoup. Me posait des tas de questions.
Ca aurait pu me fatiguer par moment, ce blabla incessant, mais pas du tout...En fait, j'étais devenue mère au foyer, sans vie sociale... Moune échangeait peu avec moi, je répondais à ses besoins vitaux et c'était suffisant pour elle... l'infatigable conversation de Julie me sortait de mon isolement et me faisait souvent rire. Je ne pense pas qu'elle était comme ça par nature, car en grandissant, Julie est devenue timide et posée. Plus j'y réfléchis et plus je me dis que Julie a fait en sorte de me changer les idées, de me maintenir la tête hors de l'eau... elle me voyait sûrement triste et fatiguée, parfois... elle ne devait pas aimer ça et elle avait bien compris qu'elle avait un pouvoir de dérision sur moi... elle m'épiait en fait.

Julie a été et est encore un pilier pour moi. Bien sûr, l'amour de mon mari, la solidité de mon couple, ont eu un rôle primordial pour maintenir en vie la famille que nous étions... mais Julie a été la présence féminine la plus forte dans ma vie. Elle continue encore, malgré ses 21 ans, de venir me parler et savoir comment je vais. Elle me confie beaucoup de choses et c'est une chance énorme de voir la confiance qu'elle m'accorde. C'est ma fille avant tout, mais c'est aussi ma meilleure amie.

La relation Julie/Moune n'est pas du tout la même que la relation Zoé/Moune. Julie a assisté à beaucoup plus de colères, de crises inexpliquées de la part de Moune ... cette dernière bénéficiait de soins persistants... Julie ne savait pas quoi faire si ce n'est se faire petite. Mon mari et moi étions très accaparés. Du coup elle n'a pas pu créer de vrai lien fraternel... Moune a été hospitalisée deux mois avant de venir vivre enfin à la maison. La petite soeur tant attendue était un courant d'air, une illusion... et une fois qu'elle fut à la maison, elle pleurait beaucoup, ne supportait pas qu'on la touche ou qu'on lui fasse un bisou baveux... en plus, elle réclamait toute l'attention de maman et de papa... ce n'était pas facile à vivre pour Julie.

Le lien que Julie n'a pas pu créer, elle l'a donc reporté sur nous. Elle a tenté de grandir vite pour pouvoir suivre nos conversations et partager plein de choses avec nous. Elle y est parvenue haut la main.

Julie a d'autant pu vivre ce lien parents/fille avec sérénité le jour où elle a compris que Zoé était parvenue à remplir le rôle de la soeur fusionnelle avec Moune. C'était tellement plus simple pour Zoé de naître au moment où Moune allait mieux, marchait et verbalisait enfin ses besoins.

Je dois beaucoup à l'écoute et à la maturité de Julie.

Elle aurait pu m'en vouloir de l'obliger à grandir vite, souvent sans mon aide et mon soutien.

Moune a grandi avec le syndrôme d'Asperger nié par le corps médical jusqu'à ses 16 ans.
Zoé a développé une encoprésie entre ses 3 et 12 ans.
Julie se devait d'aller bien, toujours.
Pourtant elle a également des soucis de santé. Elle est allergique à l'histamine et a des tas d'autres choses comme le pollen, les poils d'animaux.... Elle a déjà fait un choc anaphylactique de niveau 2.
Elle le gère très bien, ne se plaint jamais.

Il nous est arrivé de mettre les choses à plat, elle et moi. Elle a su me dire quand elle avait besoin de penser à elle et quand elle ne pouvait plus être l'épaule réconfortante dont j'avais besoin quand j'avais un coup de mou. J'ai alors rectifié le tir, je me suis secouée. Nous sommes elle et moi d'un caractère franc et impulsif. Nous sommes assez similaires. On parvient donc à se dire les choses et à rebondir.
Si j'avais pu avoir mes proches dans la même ville que moi, ça lui aurait sans doute permis de souffler, à ma Julie... mais ma mère ne vit pas à côté de moi et a eu un AVC quand Moune avait cinq ans. Ma maman est alors devenue un petit bout de femme qu'il fallait ménager, rassurer... car tout choc émotionnel la mettait en vrac. Ma mère a découvert le handicap de Moune il y a un an et demi.... elle n'avait rien soupçonné du tout... j'ai fait en sorte de la protéger. Mais je pense que je n'aurais pas dû.

Mais ça, c'est une autre histoire. Faire comprendre l'autisme à nos parents, à notre entourage...

Arf, ce sera le sujet d'un autre billet...


samedi 6 juin 2015

Happy

Il n'y a aucun doute là-dessus, Manon est heureuse. Et nous le sommes également.
Nous avons appris à reconnaitre le bonheur, le bien-être... grâce à elle...
Elle ne se complique pas la vie. Elle n'a pas les "codes" pour ça.
Toutes les choses qui peuvent polluer notre existence d'adultes tracassés par le travail, les factures à payer, le quotidien à gérer, la famille et les amis à ne pas négliger... elle ne les connaîtra probablement jamais.
Toutes les émotions qui nous assaillent et nous empêchent d'avancer, elle ne s'en embarrassera pas. Elle n'a pas "la même palette que nous en magasin"...
Je vois bien qu'elle tente des fois de décoder les expressions faciales d'autrui. De voir ce qu'elles signifient. Moune a acquis la capacité d'en interpréter pas mal mais essentiellement les nôtres parce qu'elles lui sont familières... En gros, si quelqu'un qu'elle connait peu est triste, en colère ou content, elle n'y fera probablement pas attention. Par contre, si cette personne veut lui communiquer sa joie de vivre par des blagues... sa rogne par des gestes brusques... sa mélancolie par des confidences... Moune sera démunie et se refermera sur elle-même. Elle partira dans la plupart des cas.
Moune est dans son monde à elle. Un monde où tout va bien. Ou il suffit de vivre à l'état pur pour avancer... elle ne ment jamais. Elle ne comprend pas la méchanceté. Ca rejoint sa difficulté à décoder les émotions. Elle est toujours contente car sa vie est tracée, organisée comme elle l'aime. Elle n'aspire à rien d'autre. Son rythme quotidien est très programmé, elle le connait par coeur et l'accomplit avec rigueur :
 Dormir à telle heure, se lever pour entamer sa journée de lycéenne, engloutir son petit déjeuner, passer un quart d'heure sur son ordi avant de prendre ses vêtements du jour posés sur sa commode depuis la veille au soir... prendre son bus... descendre au bon arrêt... aller voir le tableau des profs absents pour ne pas attendre inutilement devant une salle de cours... attendre dans les couloirs du lycée dans un endroit peu fréquenté, assise par terre, aux inter-classes ou pendant une perm... manger à la cantine, seule pour ne pas être mal accompagnée... ou revenir à la maison si la coupure du midi est assez longue... si c'est le cas, manger vite et en profiter pour jeter un oeil à son ordi... descendre pile à l'heure pour reprendre son bus... revenir le soir fatiguée mais libérée... goûter très vite pour régler le problème des devoirs en quelques minutes... puis allumer son ordi... descendre dîner devant le Grand Journal de Canal Plus... monter se doucher, mettre ses habits dans la corbeille à linge... caliner les chiennes... préparer son sac de cours pour le lendemain... puis proposer à Zoé une petite soirée DVD... dire bonne nuit et s'endormir en jetant un dernier oeil à sa tablette...
Moune se satisfait de cette vie si simple et basique.
Elle est heureuse comme ça.
Toute sa vie sera belle à partir du moment où elle pourra accomplir les tâches qu'on lui demande de faire dans l'ordre où elle aura appris à les faire.
L'initiative, la prise de risque, elle ne sait pas ce que c'est.
Elle veut bien faire les choses à condition qu'on lui indique comment et dans quel but il faut qu'elle les fasse. Elle est toujours volontaire. Et d'une grande gentillesse.
Nous avons construit notre bulle familiale autour de cette simplicité et de cette rigueur.
Moune a certainement pu y trouver l'équilibre qu'elle a aujourd'hui.
Et c'est tout ce qui compte.
Cette année, c'est le Bac... et après c'est l'inconnu. La fin d'un cadre scolaire rassurant.
Nous avons du mal à nous projeter. C'est compliqué. Les étudiants Asperger sont rares donc peu pris en compte dans leur singularité.
Nous allons tout faire pour que la suite de ses études ne viennent pas altérer cet équilibre.
Pour qu'elle puisse continuer à être bien dans sa petite vie...

vendredi 5 juin 2015

Shatter me

Je vous le disais dans mon tout premier billet... j'ai deux autres filles. Une aînée née en 1994 et une petite dernière née en 1999. Moune est au milieu.

J'ai toujours voulu trois enfants. Il y a plein de choses comme ça, que je m'étais promises de réaliser... comme si c'était mon idéal, ma marche à suivre. Et que rien ne devait contrecarrer mes plans. C'est probablement à cause de mon enfance que j'ai cette fâcheuse tendance à me fixer des buts à atteindre. Mais ce n'est pas le sujet de ce blog.
Disons que je suis têtue et que je n'aime pas renoncer.

J'ai donc eu une première grossesse que je peux qualifier de merveilleuse. Tout s'est bien passé. Ma fille aînée est arrivée 15 jours avant terme. Elle était jolie comme un coeur. Elle a poussé comme un champignon et était un rayon de soleil. Ce qui fait qu'un an et demi plus tard, on a mis en route la deuxième.

La deuxième, c'est Moune... elle est née 3 mois avant terme. Rien ne s'est bien passé. Un hématome à 6 semaines de grossesse. Une fatigue chronique. L'impression d'avoir une boule de pétanque qui pèse sur le pubis, tout le temps. Un mal de reins persistant. Un herpès à l'oeil à 4 mois de grossesse. Un mariage en province qui m'oblige à faire de la route et m'épuise complètement, toujours à 4 mois de grossesse... suivi d'un week-end à Londres... et bien sûr, pas d'arrêt de travail. J'étais encore au guichet du bureau de poste où je bossais le jour où on m'a hospitalisée pour col ouvert... et contractions... enceinte de 5 mois et trois semaines.

J'ai eu un accouchement traumatisant...
J'ai eu des recommandations de ne pas avoir d'autres enfants, ne sachant pas à quoi attribuer cette grande prématurité... il valait mieux... ne pas tenter le diable... être raisonnable...
J'ai du mal avec la fatalité. Ca m'énerve.
En plus, je suis impulsive, je fonce et je réfléchis après. Heureusement, je suis intuitive aussi. Mais ça, ce sont les autres qui me le disent quand je leur prévois des petits trucs insignifiants qui finissent par arriver...
Donc j'ai suivi mon intuition.
J'ai toujours su que j'allais avoir trois filles. Je l'avais dit à ma mamie quand j'étais ado. J'avais même collé un poster d'Anne Geddes représentant trois fillettes dans une baignoire en émail... sur mon mur de chambre tout bleu... juste au dessus du portrait de Kate Bush dans son clip Running up that hill... il m'a même suivi dans mon premier appartement. Il était placé dans l'entrée, au dessus de la cage de mes chinchillas... il y est resté jusqu'à la naissance de ma petite dernière...

Ma troisième grossesse fut très surveillée et j'ai arrêté mon travail d'assistante maternelle au bout du premier trimestre. J'avais passé mon agrément quand Moune avait deux ans, jugeant préférable de rester à la maison pour l'élever. Et tenant compte qu'il fallait mettre du beurre dans les épinards... malgré tout. On m'a conseillé le repos total. J'ai pris conscience que je devais préserver mon futur bébé au maximum mais nous vivions sur Paris, mon mari et moi, sans nos proches autour de nous. J'avais deux filles de 4 et 2 ans. Moune ne marchait toujours pas et piquait des colères noires malgré sa grande douceur apparente. Je devais tout gérer. J'avais pris ça très à coeur ayant pris la décision d'avoir un autre enfant malgré les risques annoncés...
Et j'ai géré... Ma petite dernière est née deux semaines avant terme, le matin du réveillon de Noël 1999.
En y repensant, et en connaissant la personnalité de ma troisième fille, elle a forçément mis son grain de sel pour que tout se passe bien. Ce n'est pas possible autrement. Elle a clairement tout fait pour se faire petite dans mon ventre, et me laisser tranquille. Elle est comme ça Zoé. Elle veut rendre les gens heureux, tout le temps. C'est une amoureuse de la vie, une optimiste à toute épreuve. C'est aussi un volcan. Qui explose mais vous enveloppe juste après d'une étreinte chaleureuse pour vous dire qu'elle s'excuse... qu'elle espère que vous allez bien...

Zoé est arrivée dans la vie de Moune quand celle-ci avait trois ans et trois mois...
Il y avait eu l'entrée à l'école maternelle pour Moune... je ne l'y mettais que le matin. J'avais repris un congé parental et ne prévoyais de reprendre mon travail de nounou que quand Zoé serait scolarisée. J'avais besoin de temps pour comprendre ce que l'institutrice de petite section me répétait à chaque fois que j'arrivais à l'entrée de sa classe... Moune était assise au fond, sur un banc, isolée des autres... ses deux petits mains nouées devant sa bouche comme pour se protéger, se cacher... Elle m'attendait en regardant le plafond, le bout de ses pieds... et quand elle entendait ma voix au loin, elle affichait un soulagement, une délivrance, qui me crevaient le coeur... elle se levait maladroitement et arrivait sur la pointe des pieds... elle ne me faisait jamais de gros calins, mais elle enfouissait sa tête dans mes jambes comme pour disparaître sous ma jupe... l'institutrice commençait alors son éternel refrain : "Elle ne veut pas se mélanger aux autres... elle est lente... elle ne répond pas aux consignes... elle semble ailleurs... ce n'est pas normal... je suis inquiète... vous avez pensé à l'autisme? je suis sûre qu'elle l'est..."
Je rentrais fracassée. Des fois des larmes coulaient sur mes joues alors que revenais à la maison, accrochée à ma poussette...
Je ne connaissais pas l'autisme.
Du moins pas assez.
Je n'avais vu que Rain Man.
J'avais un ressenti, un pressentiment.
Mais je n'avais pas assez de connaissance médicale sur le sujet pour l'envisager.

En tout cas, Zoé est arrivée à un moment difficile de ma vie. Où ce terrible mot a commencé à prendre tout son sens...
Autisme...
Je commençais à douter que tout cela soit dû à de simples séquelles motrices de grande prématurité.
J'ai recherché Autisme sur internet... j'ai douté... je n'avais pas pensé au syndrôme d'Asperger...
Quelques mois plus tard, je suis tombée sur une émission de Jean-Luc Delarue qui passait le mercredi soir... c'était un débat, ça s'appelait "Ca se discute" je crois... il y avait un jeune homme Asperger sur le plateau... qui était obsédé par les trains...
Ce soir-là, j'ai su. J'ai tout compris. J'ai pleuré en silence. De soulagement et de trouille à la fois.
J'ai tremblé en montant me coucher, j'ai mal dormi. Je n'ai parlé de ce sentiment d'avoir trouvé ce dont souffrait Moune que le lendemain à mon mari...
Il était réceptif, mais pas convaincu autant que moi...
Appelons-ça de la prudence... de la raison...
Toujours est-il que Zoé a passé sa première année de vie à me regarder tournoyer dans tous les sens entre sa soeur aînée, Julie, qui nous maternait tous et continuait de nous faire rire avec ses pitreries... et Moune qui vivait mal sa scolarité et semblait développer des angoisses bizarres...
Zoé a été sage comme une image. Un bébé facile, heureux, dormeur.
Elle nous scrutait tous et nous souriait sans cesse.
Elle a continué à grandir en développant cette bienveillance et est devenue très proche de Moune.
Elle a partagé sa chambre.
Elle a joué avec elle.
Elle ne l'a jamais brusquée.
Elle réussissait à l'aimer sans avoir besoin de l'étouffer, comme j'avais tendance à le faire, et Moune a pris confiance en Zoé. Plus qu'en personne d'autre.
Zoé a toujours encouragé Moune. Et quand une réaction de rejet, de panique, envahissait Moune, Zoé ne se braquait pas. Et réussissait même à passer à autre chose pour contourner la crise de sa soeur... et l'apaiser...
Zoé n'a jamais voulu accordé de traitement de faveur à Moune...  elle fut autant surprise que sa soeur quand elle a appris le diagnostic de syndrôme d'asperger, il y a trois ans... comme si ça ne pouvait pas être possible... comme si Moune était juste différente mais pas autiste pour autant...
Nous le savions avec mon mari, que c'était de l'autisme. Depuis des années. Mais aucun médecin n'avait voulu le mettre noir sur blanc dans son dossier pour ne pas empêcher la poursuite de la scolarité de Moune en milieu ordinaire... donc nous n'en parlions pas vraiment à la maison. Notre fille aînée savait probablement. Mais elle était tellement investie dans son rôle de pilier familial, de grande fille gentille et attentionnée... qu'elle ne voulait pas nous donner de soucis supplémentaires en abordant le sujet... elle nous voyait tellement accaparés par Moune...(je parlerai davantage de Julie dans un autre billet...)
Zoé a été et est toujours la meilleure amie de Moune.
C'est presque fusionnel.
Zoé a incontestablement permis à Moune de bluffer dans son quotidien hors de la maison... de brouiller les pistes... tellement elle lui a appris à jouer la normalité...
Moune est une jeune fille Asperger mais elle a un niveau de sociabilité relativement élevé par rapport à certains aspis...
Elle pratique l'humour...
Elle n'aime pas être seule à la maison... notre présence la rassure...
Elle aime ses proches et elle nous le montre...
Zoé ne sait pas comment elle a fait ça... pourquoi elle s'est toujours comportée comme ça avec Moune... quand on lui dit qu'elle a un don pour ça, pour aller vers les autres et savoir comment se comporter avec eux... les faire se sentir bien... elle rigole... elle dit qu'elle n'a rien fait d'extraordinaire...
Pourtant, c'est le cas.

Lindsey Stirling est l'une des interprètes préférées de Zoé. Cette entête lui est dédicacée...
                               

mardi 2 juin 2015

I Love you always forever

 

Moune est née à Paris en 1996. Nous vivions auparavant dans le 93. Tout semblait couler de source. Notre avenir était tracé. Nous étions mariés, fonctionnaires, avions déjà une fille de deux ans... envisagions d'acheter une maison en banlieue. Une petite vie tranquille, il ne manquait que le chien et nous étions la vraie petite famille parfaite. Notre couple était solide puisqu'issu d'un amour de jeunesse... commencé sur les bancs de la sixième, au collège... nous n'avions peur de rien.

Heureusement d'ailleurs. Car quand la naissance de Moune s'est annoncée un 15 septembre au lieu d'un 15 décembre, il a fallu être bien dans notre vie et dans notre tête. La liste des séquelles d'une telle naissance prématurée nous est parvenue brutalement de la bouche de l'équipe médicale... alors que j'étais sur la table d'accouchement, à regarder avec détachement le sac poubelle que la gynécologue tendait pour accueillir ma fille... j'étais comme anesthésiée par le déroulement des évènements. Je ne comprenais rien et pourtant j'ai parfaitement retenu ce que notre bébé risquait d'avoir comme vie future. Le mot handicap revenait sans cesse dans la conversation de l'obstétricienne. j'étais sidérée par la façon dont elle m'énumérait les choses mais bizaremment, je n'étais pas inquiète. Je revoyais ma mère à son travail, elle était auxiliaire de soins dans un foyer APF (Association des Paralysés de France). Je me disais que la vie avait gentiment voulu me préparer à ce qui m'attendait. Je trouvais ça pathétique mais je n'arrivais pas à être en colère. .. 
Moune est née à 28 semaines de grossesse. Elle pesait 1,100kgs. Elle a respiré de façon autonome au bout de 24 heures. Elle est restée deux mois en néonatologie à l'hopital Trousseau, dans le 12ème arrondissement de Paris. 
Je n'ai jamais eu peur qu'elle meure. Jamais.
Et je ne sais toujours pas pourquoi.
J'ai pris un congé parental.
Je n'ai jamais repris mon travail de fonctionnaire, je suis en disponibilité depuis 15 ans.
Du jour où Moune a plongé son regard bleu azur dans le mien, alors qu'elle tentait péniblement de liquider un malheureux biberon de 60ml une nuit de décembre 1996.. j'ai su que rien ne serait plus comme avant.
Elle n'avait pas le même regard que sa soeur.
La nourrir était difficile après deux mois de gavage en néonatologie. Moune semblait souffrir à chaque gorgée qu'elle avalait.
Je passais de longues minutes la nuit à tenter de lui faire garder quelques portions de lait. elle vomissait pratiquement tout ce qu'elle ingurgitait.
Pour combler le silence qui s'installait déjà entre nous à cette époque, je mettais MTV en sourdine et souriais depuis mon fauteuil Powang aux Sans-Papiers qui squattaient l'immeuble en face de chez nous... Chaque nuit, l'un d'entre eux fumait sa clope depuis une fenêtre à la hauteur de ma baie vitrée. C'était presque un rdv nocturne. Un moment de bienveillance échangé... Cet homme n'avait rien dans la vie, à part cette cigarette à griller... et moi, j'étais supposée avoir tout, assise là à bercer mon bébé dans la pénombre. Pourtant j'étais plus que démunie face à cette petite fille atypique... un vide prenait place chaque nuit dans mon bide, un vide grandissant. Je me sentais coupable d'afficher un tel desarroi face à cet homme qui n'avait rien. Je n'avais pas le droit d'aller mal... pas face à lui. J'étais si fatiguée.
La télé était la seule lueur de la pièce... Je retombais souvent sur la même programmation musicale et à l'époque, Donna Lewis avait su trouver les mots qu'on n'arriverait jamais à se dire, Moune et moi... 
Cette chanson me prend les tripes à chaque fois que je l'écoute.
Je donnerais n'importe quoi pour revivre une de ces nuits de décembre 1996, tout en sachant ce que je sais aujourd'hui...
Ce serait tellement plus facile de plonger dans le regard fuyant de Moune sans me demander pourquoi elle faisait cela...
J'aurais tellement de choses réconfortantes à lui dire, là, penchée au dessus de son nez à la regarder tétouiller difficilement son biberon...
J'aurais pu sourire davantage à l'homme à la cigarette...
J'aurais pu être apaisée et profiter encore plus du moment présent...
Rhalala... si j'avais su...
Mais bon...